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Joe, en prenant un air grave, quelles furent les paroles de Biddy. Allez le trouver, a dit Biddy, sans perdre de temps. En un mot, je ne vous tromperais pas beaucoup, ajouta Joe après quelques moments de réflexion, si je vous assurais que les paroles véridiques de cette jeune femme furent : « sans perdre une seule minute de temps. »

Ici, Joe s’arrêta court, et m’apprit qu’il ne fallait me parler qu’avec une grande modération, et que je devais prendre un peu de nourriture à des intervalles fréquents, que j’y fusse ou non disposé, et que je devais me soumettre à ses ordres. Je lui baisai donc la main, et me tins tranquille pendant qu’il s’occupait à rédiger une lettre à Biddy, dans laquelle il lui envoyait mes amitiés.

Évidemment, Biddy avait appris à écrire à Joe. Dans l’état de faiblesse où je me trouvais, couché dans mon lit et le regardant, cela me fit encore pleurer de plaisir, de voir avec quel orgueil il se mit à écrire sa lettre. Mon lit, privé de ses rideaux, avait été transporté, moi dedans, dans le salon, comme la pièce la plus vaste et la mieux aérée ; on avait retiré le tapis, et la chambre était maintenue, nuit et jour, fraîche et salubre. Joe était assis devant mon bureau, relégué dans un coin, et encombré de petites bouteilles, et il était occupé à son grand travail. Il commença d’abord par choisir une plume sur le porte-plume, qu’il mania comme si c’était un coffre à gros outils ; puis il releva ses manches, comme s’il allait manœuvrer un levier ou un marteau de forge. Avant de commencer, il se mit en position, c’est-à-dire qu’il s’appuya solidement sur la table avec son coude gauche, et tint sa jambe droite bien en arrière ; et quand il commença, il fit des gros jambages, en descendant si lentement qu’on aurait pu croire qu’il