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voir passer par toutes sortes de transformations, se dilater dans des proportions infinies, il y avait eu une tendance extraordinaire à prendre plus ou moins la ressemblance de Joe.

Après avoir passé le plus mauvais moment de ma maladie, je remarquai que, tandis que tous ses autres signes caractéristiques changeaient, ce seul trait ne changeait pas. Quiconque m’approchait, prenait l’apparence de Joe. J’ouvrais les yeux dans la nuit, et qui voyais-je dans le grand fauteuil, au chevet du lit ? Joe. J’ouvrais les yeux dans le jour, et, assis sur l’appui de la fenêtre, fumant sa pipe à l’ombre de la fenêtre ouverte, qui voyais-je encore ? Joe. Je demandais une boisson rafraîchissante, et quelle était la main chérie qui me la donnait ? Celle de Joe. Je retombais sur mon oreiller après avoir bu, et quel était le visage qui me regardait avec tant d’espoir et de tendresse, si ce n’est celui de Joe !

Enfin un jour je pris courage et je dis :

« Est-ce vous, Joe ? »

Et la chère et ancienne voix de chez nous répondit :

« Quel autre pourrait-ce être, mon vieux camarade ?

— Ô Joe ! vous me brisez le cœur ! Regardez-moi avec colère, Joe… Frappez-moi, Joe… Reprochez-moi mon ingratitude… ne soyez pas si bon pour moi… »

Car Joe venait de poser sa tête sur l’oreiller, à côté de la mienne, et de passer son bras autour de mon cou, dans la joie qu’il éprouvait de me voir le reconnaître.

« Mais, oui, mon cher Pip ! mon vieux camarade, dit Joe. Vous et moi, nous avons toujours été bons