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main, et je commençais à comprendre très-bien ce langage.

Le nombre de jours écoulés s’était élevé à dix, quand je remarquai en lui un changement plus grand que de coutume. À mon entrée, ses yeux étaient fixés vers la porte et brillaient.

« Mon cher enfant, dit-il quand je fus assis à son chevet, je pensais que vous étiez en retard, mais je savais que vous ne pouviez pas l’être.

— Il est juste l’heure, dis-je, j’attendais à la porte.

— Vous attendez toujours à la porte, mon cher enfant, n’est-il pas vrai ?

— Oui, pour ne pas perdre une minute.

— Merci, mon cher enfant, merci ; Dieu vous bénisse ! Vous ne m’avez jamais abandonné, mon cher enfant. »

Je lui serrai la main en silence, car je ne pouvais oublier que j’avais eu la pensée de l’abandonner.

« Et ce qu’il y a de mieux, dit-il, c’est que vous avez été meilleur pour moi depuis que je suis entouré d’un sombre nuage que lorsque le soleil était brillant ; voilà le mieux de tout. »

Il était couché sur le dos et respirait avec beaucoup de difficulté. Quoi qu’il pût faire et bien qu’il m’aimât tendrement, la lumière quittait son visage de plus en plus, un voile tombait sur ses yeux fixés tranquillement au plafond.

« Souffrez-vous beaucoup aujourd’hui ?

— Je ne me plains pas, cher enfant !

— Vous ne vous plaignez jamais. »

Après avoir dit ces derniers mots, il sourit, et je compris à son toucher qu’il voulait lever ma main et la porter à sa poitrine. Je la lui donnai, et il sourit encore une fois et la couvrit avec les siennes.