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non ! répondit Wemmick sèchement ; mais il en est accusé comme vous ou moi pourrions l’être. L’un de nous, vous le savez, pourrait aussi bien en être accusé.

— Seulement nous ne le sommes ni l’un ni l’autre, répondis-je.

— En vérité, dit Wemmick en me touchant la poitrine du bout du doigt, vous êtes un profond gaillard, monsieur Pip. Vous serait-il agréable de jeter un coup d’œil sur Newgate ?… Avez-vous le temps ? »

J’avais tant de temps à perdre que la proposition m’agréa comme un soulagement malgré ce qu’elle avait d’inconciliable avec mon ardent désir de ne pas perdre de vue le bureau des voitures. Je murmurais donc que j’allais m’informer si j’avais le temps d’aller avec lui. J’entrai dans le bureau et demandai au commis, avec la plus stricte précision, le moment le plus rapproché auquel on attendait la voiture, ce que je savais d’avance tout aussi bien que lui. Je rejoignis alors M. Wemmick, et, faisant semblant de consulter ma montre, et d’être surpris du renseignement que j’avais reçu, j’acceptai son offre.

En quelques minutes, nous arrivâmes à Newgate et nous traversâmes la loge où quelques fers étaient suspendus aux murailles nues, à côté des règlements de l’intérieur de la prison. À cette époque, les prisons étaient fort négligées, et la période de réaction exagérée, suite inévitable de toutes les erreurs publiques qui en est toujours la punition la plus lourde et la plus longue, était encore loin. Alors les criminels n’étaient pas mieux logés et mieux nourris que les soldats (pour ne point parler des pauvres), et ils mettaient rarement le feu à leur prison, dans le but excusable d’ajouter à la saveur de leur soupe. Quand Wemmick me fit entrer, c’était l’heure des visites. Un cabaretier circulait avec