Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dant une longue suite d’années ; je ne voyais plus en lui qu’un homme meilleur pour moi que je ne l’avais été pour Joe.

Sa respiration devenait plus difficile et plus pénible à mesure que la nuit avançait, et souvent il ne pouvait réprimer un gémissement. J’essayais de le soutenir sur le bras dont je pouvais me servir dans une position facile ; mais il était horrible de penser que je ne pouvais être fâché, au fond du cœur, de ce qu’il fût grièvement blessé, puisqu’il était incontestable qu’il eût mieux valu qu’il mourût. Qu’il y eût encore des gens capables et désireux de prouver son identité, je ne pouvais en douter ; qu’il fût traité avec douceur, je ne pouvais l’espérer. Il avait en effet été présenté sous le plus mauvais jour à son premier jugement. Depuis, il avait rompu son ban, et il avait été jugé de nouveau ; il était revenu de la déportation sous le coup d’une sentence de mort, et enfin il avait occasionné la mort de l’homme qui était la cause de son arrestation.

En revenant vers le soleil couchant, que la veille nous avions laissé derrière nous, et à mesure que le flot de nos espérances semblait s’enfuir, je lui dis combien j’étais désolé de penser qu’il était revenu pour moi.

« Mon cher enfant, répondit-il, je suis très-content et j’accepte mon sort. J’ai vu mon cher enfant, et je sais qu’il peut être gentleman sans moi. »

Non, c’est ce qui n’était plus possible ; j’avais songé à cela pendant que j’étais assis côte à côte avec lui. Non. En dehors de mes inclinations personnelles, je comprenais alors l’idée de Wemmick. Je prévoyais que, condamné, ses biens seraient confisqués par la couronne.

« Voyez-vous, mon cher enfant, dit-il, il vaut mieux