Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je sais ce que je pense, observa le garde.

— Vous pensez que ce sont les douaniers, Jack ? dit l’aubergiste.

— Oui, dit le garde.

— Eh bien, vous vous trompez.

— Vraiment ! »

Dans la signification infinie de sa réplique et sa confiance sans bornes dans sa perspicacité, le garde ôta un de ses énormes souliers, regarda dedans, fit tomber quelques cailloux qui s’y trouvaient sur le pavé de la cuisine et le remit. Il fit ceci de l’air d’un homme qui voit si juste qu’il peut tout se permettre.

« Que croyez-vous donc qu’ils fassent de leurs boutons ? demanda le maître de la maison, en hésitant un peu.

— Avec leurs boutons ? répondit le garde ; les semer par-dessus bord, les avaler, les semer pour récolter de petites salades. Ce qu’ils font de leurs boutons !

— Ne vous emportez pas, dit le propriétaire d’un ton mélancolique et pathétique à la fois.

— Un officier de la douane sait ce qu’il doit faire de ses boutons, dit le garde, en répétant le mot qui l’offusquait avec le plus grand mépris, quand on passe entre lui et sa lumière. Quatre rameurs et deux hommes assis ne montent pas avec une marée pour descendre avec une autre, avec ou contre le courant, sans qu’il y ait de la douane au fond de tout cela. »

Là-dessus, il sortit avec un geste de dédain, et l’aubergiste n’ayant plus personne pour la soutenir, trouva impossible de poursuivre cette conversation.

Ce dialogue nous donna à tous de l’inquiétude. À moi surtout, il m’en donna beaucoup. Un vent lugubre sifflait autour de la maison, la marée battait la berge, et