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CHAPITRE XXIV.


Il faisait nuit noire, quoique la pleine lune commençât à se lever, au moment où je quittais les terrains cultivés pour entrer dans les marais. Au delà de leur ligne sombre, il y avait un ruban de ciel clair, à peine assez large pour contenir la pleine lune rouge de feu. En quelques minutes, la lune avait disparu de ce champ clair, derrière des montagnes de nuages amoncelés les uns sur les autres.

Il soufflait un vent mélancolique, et les marais étaient insupportables à voir. Un étranger les eût trouvés horribles, et même pour moi, ils étaient si navrants, que j’hésitai, et que je me sentis à demi disposé à retourner sur mes pas. Mais je les connaissais bien, et j’y aurais trouvé mon chemin par une nuit encore plus noire ; d’ailleurs, étant venu jusque-là, je n’avais vis-à-vis de moi-même nulle excuse pour retourner sur mes pas. J’étais venu contre mon gré, je continuai même presque involontairement.

Le chemin que je pris n’était pas celui où se trouvait notre ancienne demeure, ni celui par lequel nous avions poursuivi les forçats. En marchant, je tournais le dos aux pontons lointains, et bien que je pusse voir les vieilles lumières au loin sur les bancs de sable, je