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Joe, tu n’en parles jamais, toi ! Joe, affectueux et indulgent ; tu ne te plains jamais, toi ! Ni toi non plus, charmante et bonne Biddy !

— Votre appétit se ressent de votre accident, dit l’aubergiste en jetant les yeux sur le bras qui était bandé sous mon paletot. Essayez d’un morceau plus tendre.

— Non, merci, répondis-je en quittant la table pour m’approcher du feu ; je ne puis manger davantage ; veuillez enlever tout cela. »

Je n’avais jamais été frappé d’une manière plus sensible de mon ingratitude envers Joe, que par l’imposture effrontée de Pumblechook. Le faux, c’était lui ; le vrai, c’était Joe. Le plus vil, c’était lui ; le plus noble, c’était toujours Joe.

Je me sentis profondément et très-injustement humilié, quand je songeai devant le feu, pendant une heure et plus. Le bruit de l’horloge me réveilla, mais non de mon abattement et de mes remords. Je me levai, fis agrafer mon manteau sous mon cou, et sortis. J’avais d’abord cherché dans ma poche la lettre, afin de m’y reporter de nouveau, mais je ne pus la trouver. J’étais contrarié de penser qu’elle avait dû tomber dans la paille de la voiture ; je savais cependant très-bien que le lieu indiqué était la petite maison de l’éclusier, près du four à chaux, dans les marais, et à neuf heures. C’est donc vers les marais que je me dirigeai directement, car je n’avais pas de temps à perdre.


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