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son visage exprimait fortement l’effort qu’elle faisait pour être attentive. Je continuai mon explication, et je lui dis comment j’avais espéré pouvoir arriver à établir Herbert avec mes propres ressources, mais comment j’avais été désappointé. Cette partie du sujet (je le lui rappelai) contenait des matières qui ne pouvaient faire partie de mes explications ; car elles se liaient aux secrets importants d’une autre.

« Ah ! dit-elle en faisant un signe d’assentiment, mais sans me regarder. Et combien d’argent faut-il pour compléter ce que vous désirez ? »

J’étais un peu effrayé de fixer le chiffre, car il sonnait assez rondement.

« Neuf cents livres, dis-je cependant.

— Si je vous donne l’argent pour votre projet, garderez-vous mon secret comme vous avez gardé le vôtre ?

— Tout aussi fidèlement.

— Et votre esprit sera plus calme ?

— Beaucoup plus calme ?

— Êtes-vous bien malheureux maintenant ? »

Elle me fit encore cette question sans me regarder, mais avec un ton de sympathie peu ordinaire. Il me fut impossible de répondre à ce moment, car la voix me manquait. Elle passa son bras gauche sous la tête recourbée de sa canne, et y appuya doucement son front.

« Je suis loin d’être heureux, miss Havisham ; mais j’ai d’autres causes d’inquiétudes que toutes celles que vous connaissez : ce sont les secrets dont je vous ai parlé. »

Peu d’instants après, elle leva la tête et regarda de nouveau le feu.

« C’est généreux à vous de me dire que vous avez d’autres causes d’inquiétudes, mais est-ce vrai ?