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balançant dans les grands arbres dépouillés du Prieuré, semblaient me crier que la maison était changée, et qu’Estelle en était partie pour toujours.

Une vieille femme, que je connaissais déjà comme une des servantes qui habitaient la maison supplémentaire, au delà de la cour de derrière, m’ouvrit la porte. La chandelle allumée était dans le passage sombre. Comme autrefois, je la pris et montai seul l’escalier. Miss Havisham n’était pas dans sa chambre, mais dans l’autre grande chambre, de l’autre côté du palier. Regardant à l’intérieur, après avoir frappé en vain, je la vis tout près du foyer, assise sur une chaise tout usée, et perdue dans la contemplation du feu couvert de cendres.

Faisant comme j’avais fait souvent, j’entrai et me tins debout près de la vieille cheminée où elle pouvait me voir lorsqu’elle lèverait les yeux. Il y avait dans toute sa personne un air d’affaissement extrême qui m’émut jusqu’à la compassion, quoiqu’elle m’eût fait plus de mal que je ne pouvais dire. Comme j’étais là, la plaignant et pensant qu’avec le temps, j’étais aussi devenu partie de la ruine de cette maison, ses yeux se portèrent sur moi. Elle me regarda fixement et dit à voix basse :

« Est-ce possible ?

— C’est moi, Pip. M. Jaggers m’a remis votre lettre hier, et je n’ai pas perdu de temps.

— Merci !… merci !… »

Approchant du feu une des autres chaises dégarnies, et m’asseyant, je remarquai sur son visage une expression nouvelle, comme si elle avait peur de moi.

« J’ai besoin, dit-elle, de continuer le sujet dont vous m’avez parlé la dernière fois que vous êtes venu ici, et de vous montrer que je ne suis pas de marbre…