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Une après-midi, vers la fin du mois de février, j’abordai au wharf à la nuit tombante. J’étais descendu jusqu’à Greenwich avec la marée, et je remontais avec la marée. La journée avait été superbe, mais le brouillard s’était élevé après le coucher du soleil, et j’avais eu beaucoup de peine à me frayer un chemin parmi les navires. En descendant, comme en remontant, j’avais vu le signal à la fenêtre : tout allait bien.

Comme la soirée était âpre, et que j’avais très-froid, je pensais à me réconforter, en dînant tout de suite ; et comme j’avais des heures de tristesse et de solitude devant moi avant de rentrer au Temple, je me promis, après le dîner d’aller au théâtre. Le théâtre où M. Wopsle avait remporté son incontestable triomphe était de ce côté de l’eau (il n’existe plus nulle part aujourd’hui), et c’est à ce théâtre que je résolus d’aller. Je savais que M. Wopsle n’avait pas réussi à faire revivre le drame, mais qu’il avait au contraire aidé à sa décadence. On l’avait vu annoncé modestement sur les affiches comme un nègre fidèle à côté d’une petite fille de noble naissance et d’un singe. Herbert l’avait vu remplir le rôle d’un Tartare rapace et facétieux, avec une tête rouge comme une brique et un chapeau impossible tout couvert de sonnettes.

Je dînai à l’endroit qu’Herbert et moi nous appelions la gargote géographique, où il y avait une mappemonde sur les rebords des pots à bière et sur chaque demi-mètre de la nappe, et des cartes tracées avec le jus sur chaque couteau, — aujourd’hui, c’est à peine s’il y a une seule gargote dans le domaine du Lord Maire qui ne soit pas géographique, — et je passai le temps à faire des boulettes de mie de pain, à regarder les becs de gaz, et à cuire dans la chaude atmosphère