Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demain matin on l’avait trouvé baigné dans son sang. Il me vint dans l’idée que cet inconnu avait dû occuper cette même voûte, et je me levai pour m’assurer qu’il n’y avait pas de traces rouges. Alors j’ouvris la porte pour regarder dans les couloirs et me ranimer un peu à la vue d’une lumière lointaine, près de laquelle je savais que le garçon de service dormait. Mais pendant tout ce temps, je me demandais : « Pourquoi ne dois-je pas rentrer chez moi ?… Que peut-il être arrivé à la maison ?… Si j’y rentrais, y trouverais-je Provis en sûreté ?… » Ces questions occupaient à tel point mon esprit, qu’on aurait pu supposer qu’il n’y avait plus de place pour d’autres réflexions. Même lorsque je pensais à Estelle, et à la manière dont nous nous étions quittés ce jour-là pour toujours, et quand je me rappelais les circonstances de notre séparation, et tous ses regards, et toutes ses intonations, et le mouvement de ses doigts pendant qu’elle tricotait, même alors j’étais poursuivi ici, là et partout par cet avertissement : NE RENTREZ PAS CHEZ VOUS ! Quand à la fin je m’assoupis, à force d’épuisement d’esprit et de corps, cela devint un immense verbe imaginaire, qu’il me fallut conjuguer à l’impératif présent : Ne rentre pas chez toi ; qu’il ne rentre pas chez lui ; ne rentrons pas chez nous ; qu’ils ne rentrent pas chez eux ; et puis virtuellement : Je ne puis pas et je ne dois pas rentrer chez moi ; je ne pouvais pas, ne voulais pas et ne devais pas rentrer chez moi, jusqu’à ce que je sentisse que j’allais devenir fou. Je me roulai sur l’oreiller et regardai les grands ronds fixes sur la muraille.

J’avais recommandé que l’on m’éveillât à sept heures, car il était clair que je devais voir Wemmick avant tout autre personne, et également clair que c’était là une circonstance pour laquelle il ne fallait lui deman-