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comment les appeler, que je suis incapable de comprendre. Quand vous dites que vous m’aimez, je sais ce que vous voulez dire quant à la formation des mots, mais rien de plus. Vous ne dites rien à mon cœur… vous ne touchez rien là… Je m’inquiète peu de ce que vous pouvez dire… j’ai essayé de vous en avertir… Dites, ne l’ai-je pas fait ?

— Oui, répondis-je d’un ton lamentable.

— Oui, mais vous n’avez pas voulu vous tenir pour averti, car vous avez cru que je ne le pensais pas. Ne l’avez-vous pas cru ?

— J’ai cru et espéré que vous ne le pensiez pas, vous si jeune, si peu éprouvée et si belle, Estelle. Assurément ce n’est pas dans la nature.

— C’est dans ma nature, répondit-elle ; puis elle ajouta en appuyant sur les mots : C’est dans mon for intérieur. Je fais une grande différence entre vous et les autres en vous en disant autant. Je ne puis faire davantage.

— N’est-il pas vrai, dis-je, que Bentley Drummle est ici en ville et qu’il vous recherche ?

— C’est parfaitement vrai, répondit-elle en parlant de lui avec l’indifférence du plus entier mépris.

— N’est-il pas vrai que vous l’encouragez, que vous sortez à cheval avec lui, et qu’il dîne avec vous aujourd’hui même ? »

Elle parut un peu surprise de voir que je connaissais tous ces détails, mais elle répondit encore :

« C’est parfaitement vrai !

— Vous pouvez l’aimer, Estelle ! »

Ses doigts s’arrêtèrent pour la première fois quand elle répliqua avec un peu de colère :

« Que vous ai-je dit ? Croyez-vous encore après cela que je ne sois pas telle que je le dis ?