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— Je ne suis pas assez rusé, vous le voyez, répondis-je sentant bien que je rougissais un peu, pour pouvoir vous cacher, quand bien même je le désirerais, que j’ai quelque chose à vous demander, miss Havisham : si vous pouviez disposer de quelque argent pour rendre à mon ami Herbert un service pour le reste de ses jours… mais ce service, par sa nature, doit être rendu sans qu’il s’en doute, je vous dirai comment.

— Pourquoi faut-il que cela se fasse sans qu’il s’en doute ? demanda-t-elle en appuyant sa main sur sa canne afin de me regarder plus attentivement.

— Parce que, dis-je, j’ai commencé moi-même à lui rendre service il y a plus de deux ans sans qu’il le sache, et que je ne veux pas être trahi. Par quelles raisons suis-je incapable de continuer ? Je ne puis vous le dire. C’est une partie du secret d’un autre et non pas le mien. »

Elle détourna peu à peu les yeux de moi et les porta sur le feu. Après l’avoir contemplé pendant un temps qui, dans le silence, à la lumière des bougies qui brûlaient lentement, me parut bien long, elle fut réveillée par l’écroulement de quelques charbons enflammés, et regarda de nouveau de mon côté, d’abord d’une manière vague, puis avec une attention graduellement concentrée. Pendant tout ce temps Estelle tricotait toujours. Quand miss Havisham eut arrêté son attention sur moi, elle dit, en parlant comme s’il n’y avait pas eu d’interruption dans notre conversation :

« Ensuite ?…

— Estelle, dis-je en me tournant vers elle en essayant de maîtriser ma voix tremblante, vous savez que je vous aime, vous savez que je vous aime depuis longtemps, et que je vous aime tendrement… »

Ainsi interpellée, Estelle leva les yeux sur mon vi-