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je suppose que vous ne le feriez qu’avec l’espoir vague de lui rendre un jour ce que vous en avez déjà reçu. Cet espoir ne serait pas grand, si vous vous faisiez soldat ! sans compter que c’est absurde. Vous seriez bien mieux dans la maison de Clarricker, toute petite qu’elle soit ; je suis sur le point de m’y associer, vous savez. »

Pauvre garçon ! il ne soupçonnait pas avec quel argent.

« Mais il y a une autre question, dit Herbert ; Provis est un homme ignorant et résolu qui a eu longtemps une idée fixe. Plus que cela, il me paraît (je puis me tromper sur son compte), être un homme désespéré et d’un caractère très-violent.

— Je le sais, répondis-je ; laissez-moi vous raconter quelle preuve j’en ai eue. »

Et je lui dis, ce que j’avais passé sous silence dans mon récit, la rencontre avec l’autre forçat.

« Voyez alors, dit Herbert ; pensez qu’il vient ici au péril de sa vie pour la réalisation de son idée fixe. Au moment de cette réalisation, après toutes ses peines et son espoir, vous minez le terrain sous ses pieds, vous détruisez ses projets, et vous lui enlevez le fruit de ses labeurs. Ne voyez-vous rien qu’il puisse faire sous le coup d’un tel désappointement ?

— Oui, Herbert, j’y ai songé et j’en ai rêvé ; depuis la fatale soirée de son arrivée, rien n’a été plus présent à mon esprit que la crainte de le voir se faire arrêter lui-même.

— Alors, vous pouvez compter, dit Herbert, qu’il y aurait grand danger à ce qu’il s’y exposât ; c’est là le pouvoir qu’il exercera sur vous tant qu’il sera en Angleterre, et ce serait le plan qu’il adopterait infailliblement si vous l’abandonniez. »

Je fus tellement frappé d’horreur à cette idée, qui s’était tout d’abord présentée à mon esprit, que je me