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vous aviez commencé à l’adorer la première fois que vous l’aviez vue, quand vous étiez tout jeune, tout jeune.

— Très-bien, alors, dis-je, nullement fâché de cette nouvelle lumière jetée sur mon cœur. Je n’ai jamais cessé de l’adorer, et elle est devenue la plus belle et la plus adorable des créatures. Je l’ai vue hier, et si je l’adorais déjà, je l’adore doublement maintenant.

— Il est heureux pour vous alors, Haendel, dit Herbert, que vous ayez été choisi pour elle, et que vous lui soyez destiné. Sans nous occuper de ce qu’il nous est défendu de rechercher, nous pouvons nous risquer à dire qu’il ne peut y avoir de doute entre nous sur ce point. Mais savez-vous ce qu’Estelle pense de cette adoration ?

Je secouai tristement la tête.

« Oh ! elle en est à mille lieues.

— Patience, mon cher Haendel ; vous avez le temps, vous avez le temps ! Mais vous avez encore quelque chose à me dire ?

— Je suis honteux de le dire, répondis-je, et pourtant il n’y a pas plus de mal à le dire qu’à le penser : vous m’appelez un heureux mortel… sans doute je le suis. Hier je n’étais encore qu’un pauvre garçon de forge ; aujourd’hui, je suis… quoi ?…

— Dites un bon garçon, si vous voulez finir votre phrase, répondit Herbert en souriant et en pressant mes mains dans les siennes, un bon garçon, un curieux mélange d’impétuosité et d’hésitation, de hardiesse et de défiance, d’animation et de rêverie. »

Je m’arrêtai un instant pour considérer si mon caractère contenait réellement un pareil mélange. Je n’en retrouvai pas les éléments ; mais je pensais que cela ne valait pas la peine d’être discuté.

« Quand je demande ce que je suis aujourd’hui,