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ridée, avec ses touffes de cheveux gris fer de chaque côté.

« Je ne veux pas voir mon gentleman à pied dans la boue des rues, il ne faut pas qu’il y ait de boue à ses souliers. Mon gentleman doit avoir des chevaux, Pip, des chevaux de selle et des chevaux d’attelage, des chevaux de tout genre pour que son domestique monte et conduise tour à tour ! Bon Dieu ! des colons auraient des chevaux, et des chevaux pur-sang, s’il vous plaît, et mon gentleman, à Londres, n’en aurait pas ! Non, non ; nous leur montrerons ce que nous savons faire !… N’est-ce pas, Pip ? »

Il sortit de sa poche un grand et épais portefeuille tout gonflé de papiers et le jeta sur la table.

« Il y a dans ce portefeuille quelque chose qui vaut la peine d’être dépensé, mon cher enfant ; c’est à vous ; tout ce que j’ai n’est pas à moi, mais bien à vous, usez-en sans crainte : il y en a encore au lieu d’où vient celui-ci. Je suis venu du pays là-bas pour voir mon gentleman dépenser son argent en véritable gentleman ; ce sera mon seul plaisir ; mais il sera grand, et malheur à vous tous ! continua-t-il en faisant claquer ses doigts avec bruit. Malheur à vous tous, depuis le juge avec sa grande perruque, jusqu’au colon faisant voler la poussière au nez des passants ; je vous ferai voir un plus parfait gentleman que vous tous ensemble !

— Arrêtez, dis-je, presque dans un accès de crainte et de dégoût. J’ai besoin de vous parler ; j’ai besoin de savoir ce qu’il faut faire ; j’ai besoin de savoir comment vous éviterez le danger, combien de temps vous allez rester, et quels sont vos projets.

— Tenez, Pip, dit-il en mettant tout à coup sa main sur mon bras d’une manière attristée et soumise ; d’abord, tenez, je me suis oublié il y a une demi-minute.