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avait un vilain air pour moi, porté à la méfiance et à la crainte comme je l’étais depuis les événements survenus pendant ces dernières heures.

J’activai mon feu, qui brûlait avec un faible éclat à cette heure matinale, et je m’assoupis devant la cheminée. Il me semblait avoir sommeillé toute une nuit, quand les horloges sonnèrent six heures. Comme l’aurore ne devait paraître que dans une grande heure et demie, je m’assoupis de nouveau, tantôt m’éveillant accablé, entendant des conversations diffuses sur des riens, tantôt prenant pour le tonnerre le vent qui grondait dans la cheminée, et finissant enfin par tomber dans un profond sommeil, dont je fus réveillé en sursaut par le grand jour.

Pendant tout ce temps, il m’avait été impossible de bien considérer ma situation, et je ne pouvais encore le faire. Je n’avais pas encore la faculté de fixer mon attention, ou je ne le faisais que d’une façon tout à fait incohérente. Quant à former un plan pour l’avenir, j’aurais plutôt formé un éléphant. En ouvrant les volets, en voyant la triste et humide matinée, le ciel gris de plomb, en passant d’une chambre à l’autre, en me rasseyant ensuite en grelottant devant le feu pour attendre ma servante, je songeais bien combien j’étais malheureux, mais je me rendais à peine compte pourquoi, ni depuis combien de temps je l’étais, ni à quel jour de la semaine je faisais cette réflexion, ni même qui j’étais, moi qui la faisais.

À la fin, la vieille femme et sa nièce arrivèrent. Cette dernière avait une tête assez difficile à distinguer du plumeau qu’elle tenait à la main. Elles parurent surprises de me voir déjà levé et auprès du feu. Je leur dis que mon oncle était arrivé pendant la nuit, qu’il dormait encore, et que le menu du déjeuner devait être