Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sagesse sur terre n’aurait pu me donner le contentement que j’aurais trouvé dans leur simplicité et leur constante amitié. Mais jamais… jamais… jamais je ne pourrais revenir sur ce qui était fait.

Dans chaque rafale de vent et à chaque redoublement de pluie, j’entendais les agents de police. Deux fois, j’aurais juré qu’on frappait et que l’on parlait bas à la porte. Sous l’impression de ces craintes, je commençai à m’imaginer et à me rappeler que j’avais eu de mystérieux avis sur l’arrivée de cet homme. Que, pendant des semaines, j’avais rencontré dans les rues des visages que je pensais ressembler au sien. Que ces ressemblances étaient devenues de plus en plus nombreuses à mesure que son voyage sur mer approchait de son terme. Que son mauvais esprit avait envoyé ces messagers au mien, et que maintenant par cette nuit orageuse, il était aussi bon qu’il le disait, et avec moi.

Avec cette foule de réflexions, vint celle qu’avec mes yeux d’enfant, j’avais vu en lui un homme d’une violence désespérée ; que j’avais entendu l’autre forçat dire, à plusieurs reprises, qu’il avait essayé de l’assassiner ; que je l’avais vu dans le fossé le battre et le déchirer comme un bête féroce. Rempli de ces souvenirs, tout me faisait peur, jusqu’au mouvement de la flamme, et tout me semblait dire que je n’étais pas en sûreté, enfermé là avec le déporté dans le silence de cette nuit furieuse et solitaire. Je sentis comme une terreur palpable, qui se dilata jusqu’à remplir la chambre, et me poussa à prendre la chandelle pour aller voir mon terrible fardeau.

Il avait roulé un mouchoir autour de sa tête, et son visage paraissait abattu dans son sommeil ; mais il dormait tranquillement, bien qu’il eût un pistolet posé sur son oreiller. Assuré de son sommeil, je retirai dou-