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rait la chambre où nous avions eu cette conversation, je lui demandai s’il voulait se coucher. Il me répondit que oui, et me pria de lui donner un peu de mon linge de gentleman pour mettre le lendemain matin. Je lui en apportai et le lui préparai, et mon sang se glaça encore une fois dans mes veines, quand il me prit les deux mains pour me dire :

« Bonsoir. »

Je le quittai sans savoir comment. Je refis du feu dans la pièce où nous avions causé, et je m’assis auprès, craignant de me remettre au lit. Pendant une heure encore, je restai trop étonné pour pouvoir penser, et ce ne fut que lorsque je commençai à penser, que je sentis combien j’étais malheureux, et jusqu’à quel point le vaisseau sur lequel j’avais navigué était en pièces.

Les intentions de miss Havisham à mon égard étaient un simple rêve. Estelle ne m’était pas destinée ; on ne me souffrait à Satis House que comme une utilité, et pour servir d’aiguillon pour les parents avides ; comme une espèce de mannequin, au cœur mécanique, sur lequel on s’exerçait quand on n’avait pas d’autre sujet sous la main. Ce furent là mes premières souffrances. Mais la douleur la plus aiguë et la plus profonde de toutes, c’était que ce forçat, coupable d’un crime que j’ignorais, était exposé à être arrêté dans cette même chambre où je me trouvais plongé dans mes réflexions, et pendu à la porte d’Old Bailey, et que j’avais abandonné Joe.

Je ne serais pas retourné alors auprès de Joe, je ne serais pas retourné alors auprès de Biddy pour aucune considération que ce fût, simplement je suppose, parce que le sentiment de mon indigne conduite envers eux était plus fort que toute autre considération. Aucune