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n’y étiez pas préparé comme j’y étais. Mais n’avez-vous jamais pensé que ce pouvait être moi ?

— Oh ! non ! non ! répondis-je. Jamais !… jamais !…

— Eh bien ! vous le voyez, c’est moi et moi seul qui ai tout fait ; personne ne s’en est mêlé que moi et M. Jaggers.

— Personne autre ? demandai-je.

— Non, dit-il d’un air surpris, qui donc cela serait-il ? Eh ! mon cher enfant, comme vous avez bon air ! Il y a de beaux yeux quelque part… Eh ! n’est-ce pas qu’il y a quelque part de beaux yeux auxquels vous aimez à penser ? »

Ô Estelle !… Estelle !…

« Ils seront à vous, mon cher enfant, si l’argent peut vous les procurer. Non qu’un gentleman comme vous, posé comme vous, ne puisse les obtenir par lui-même, mais l’argent vous aidera ! Il faut que je finisse ce que j’étais en train de vous dire, cher garçon. Dans cette hutte et par mon travail, j’eus de l’argent que mon maître me laissa (il avait été comme moi, et il mourut) ; j’eus ma liberté et je travaillai pour mon compte. Tout ce que je tentai, je le tentai pour vous… Que Dieu me détruise si ce que je tentais n’était pas pour vous ! Tout réussit merveilleusement. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, je suis renommé pour cela. C’est l’argent qu’on m’avait laissé et les gains de la première année que j’envoyais à M. Jaggers, le tout pour vous, quand, d’après les instructions contenues dans ma lettre, il est allé vous chercher. »

Oh ! mieux eût valu qu’il ne fût jamais venu ! qu’il m’eût laissé à la forge. J’étais loin d’être content, et pourtant, comparativement, j’étais heureux !

« Et alors, mon cher ami, ce fut une récompense pour moi de savoir en secret que je faisais un gentle-