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« J’espère, dis-je en versant vivement quelque chose pour moi dans un verre, et en approchant une chaise de la table, que vous ne pensez plus que je vous ai parlé rudement tout à l’heure ; je n’en avais pas l’intention, et je le regrette si je l’ai fait. Je veux vous savoir content et heureux. »

Comme je portais le verre à mes lèvres, il regarda avec surprise le bout de son mouchoir, qui tomba de sa bouche quand il l’ouvrit et me tendit les mains. Je lui donnai les miennes. Alors il but et passa sa main sur ses yeux et sur son front.

« Comment vivez-vous ? demandai-je.

— J’ai été fermier, éleveur de moutons, et j’ai fait beaucoup d’autres commerces dans le Nouveau-Monde, dit-il, bien loin d’ici… au delà des mers.

— J’espère que vous avez réussi ?

— J’ai merveilleusement réussi. Bien d’autres, de ceux qui sont partis avec moi ont réussi également bien ; mais aucun n’a réussi comme moi, je suis connu pour cela.

— Je suis aise de l’apprendre.

— J’espérais vous entendre parler ainsi, mon cher ami. »

Sans m’arrêter à chercher à comprendre le sens de ces paroles, ni le ton avec lequel il les disait, je passai à un sujet qui venait de se présenter à mon esprit.

« Avez-vous revu un messager que vous m’avez envoyé ? demandai-je, depuis qu’il a rempli votre commission ?

— Jamais… Je n’y tiens pas.

— Il m’a fidèlement apporté les deux billets d’une livre ; j’étais un pauvre enfant alors, comme vous savez, et pour un pauvre enfant, c’était une petite fortune. Mais, comme vous, j’ai réussi depuis ce temps-là.