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larité de ses regards fixés sur moi, que les mots moururent sur mes lèvres.

« Vous disiez, fit-il observer quand nous nous fûmes toisés en silence, qu’assurément je dois comprendre… que dois-je assurément comprendre ?

— Que je ne puis désirer renouveler connaissance avec vous, dans les circonstances différentes dans lesquelles je me trouve. Je suis aise de croire que vous vous êtes repenti, et que vous êtes devenu meilleur… je suis aise de vous le dire… je suis aise que vous ayez pensé que je méritais d’être remercié et que vous soyez venu me remercier ; mais nos routes dans la vie sont différentes. Cependant vous êtes mouillé et vous paraissez fatigué, voulez-vous boire quelque chose avant de partir ? »

Il avait replacé son mouchoir à son cou, et n’avait cessé de m’observer en en mordant un long bout.

« Je pense, répondit-il en conservant le bout du mouchoir dans sa bouche, et sans cesser de m’observer, que je veux bien boire, merci, avant de m’en aller. »

Il y avait un plateau tout prêt sur un des bouts de la table ; je l’approchai du feu et lui demandai ce qu’il voulait boire. Il toucha l’une des bouteilles, sans regarder ni parler, et je lui fis un grog chaud au rhum. J’essayai, en le préparant, d’empêcher ma main de trembler ; mais je ne cessais de le voir, appuyé sur le dos de sa chaise, avec le long bout de son mouchoir évidemment oublié entre ses dents, et son regard m’empêchait de maîtriser ma main. Quand enfin je lui tendis le verre, je vis avec un nouvel étonnement que ses yeux étaient remplis de larmes.

Jusqu’à ce moment, je n’avais pas cherché à cacher mon désir de le voir partir ; mais je fus attendri pas son émotion, et j’eus un moment de remords.