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pour nous ramener au cimetière où nous nous étions rencontrés, dans des situations bien différentes, je n’aurais pas pu reconnaître mon forçat plus distinctement que je le reconnaissais, en le voyant assis dans le fauteuil près du feu. Il n’était pas nécessaire qu’il tirât une lime de sa poche et qu’il me la montrât… qu’il ôtât le mouchoir de son cou pour le rouler autour de sa tête… il n’était pas nécessaire qu’il se serrât avec ses deux bras et qu’il fît en frissonnant le tour de la chambre, en se retournant vers moi pour tâcher de se faire reconnaître… Je l’avais reconnu avant qu’il ne m’aidât par aucun de ces signes, bien qu’un instant auparavant je n’eusse pas le moindre soupçon sur son identité.

Il revint à l’endroit où je me trouvais, et il me tendit encore ses deux mains. Ne sachant que faire, car dans mon étonnement j’avais perdu mon sang-froid, je lui abandonnai mes mains avec répugnance. Il les serra cordialement, les porta à ses lèvres, les baisa et les retint encore.

« Vous avez noblement agi, mon cher ami, dit-il ; brave Pip !… Et je ne l’ai jamais oublié ! »

Il fit un mouvement comme s’il allait m’embrasser, mais je posai une main sur sa poitrine et je le repoussai.

« Arrêtez ! dis-je, modérez-vous ! Si vous êtes reconnaissant de ce que j’ai fait pour vous quand je n’étais qu’un enfant, j’espère que, pour me montrer votre reconnaissance, vous avez modifié votre genre de vie. Si vous êtes venu ici pour me remercier, cela n’était pas nécessaire. Cependant vous m’avez découvert, il doit y avoir quelque chose de bon dans le sentiment qui vous a conduit ici, et je ne vous repousserai pas, mais assurément vous devez comprendre que je… »

Mon attention était tellement éveillée par la singu-