Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de se passer de sang, était une question sur laquelle les pinsons n’étaient pas d’accord. Le débat devint même si vif, qu’au moins six des plus honorables membres dirent à six autres, pendant la discussion, que sans doute ils savaient où on les trouvait. Cependant il fut décidé à la fin, le Bocage était une cour d’honneur, que si M. Drummle apportait le plus léger certificat de la dame, constatant qu’il avait l’honneur de la connaître, M. Pip exprimerait ses regrets comme gentleman et comme pinson, de s’être laissé emporter à une ardeur qui… On convint que la pièce devait être produite le lendemain, dans la crainte que notre honneur se refroidît pendant le délai ; et, le lendemain, Drummle arriva avec un petit mot poli de la main d’Estelle, dans lequel elle avouait qu’elle avait eu l’honneur de danser plusieurs fois avec lui. Cela ne me laissait d’autre ressource que de regretter de m’être laissé emporter par une ardeur qui… et surtout de répudier comme insoutenable l’idée qu’on pouvait me trouver quelque part. Drummle et moi, nous restâmes à nous regarder l’un l’autre, sans rien dire pendant l’heure que dura la contestation dans laquelle le Bocage était engagé. Finalement, on déclara que la motion tendant à la reprise du bon accord était votée à une immense majorité.

J’en parle ici légèrement, mais ce ne fut pas une petite affaire pour moi, car je ne puis exprimer exactement quelle peine je ressentis en pensant qu’Estelle montrât la moindre faveur à un individu si méprisable, si lourd, si maladroit, si stupide et si inférieur. À l’heure qu’il est, je crois pouvoir attribuer à quelque pur sentiment de générosité et de désintéressement, qui se mêlait à mon amour pour elle, d’avoir pu endurer l’idée qu’elle s’appuyait sur cet animal. Sans doute,