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aucune sympathie entre nous, cela pouvait bien être et ne m’étonnait pas : mais quelle fut ma surprise et mon indignation quand il invita la compagnie à porter un toast à Estelle !

« Estelle, qui ? dis-je.

— Qu’est-ce que cela vous fait ? repartit Drummle.

— Estelle, d’où ? dis-je. Vous êtes obligé de le dire. »

Et, de fait, il était obligé de le dire, en sa qualité de Pinson.

« De Richmond, messieurs, dit Drummle, et c’est une beauté sans égale.

— Est-ce qu’il sait ce que c’est qu’une beauté sans égale, ce misérable idiot ? dis-je à l’oreille d’Herbert.

— Je connais cette dame, dit Herbert par-dessus la table, quand on eut fait honneur au toast.

— Vraiment ? dit Drummle

— Et moi aussi, ajoutai-je avec un visage écarlate

— Vraiment ? dit Drummle, ô Seigneur ! »

C’était la seule réplique, à l’exception du bruit des verres et des assiettes que cette épaisse créature était capable de faire, mais j’en fus tout aussi irrité que si elle eût été pétrie d’esprit. Je me levai aussitôt de ma place, et dis que je ne pouvais m’empêcher de regarder comme une impudence de la part de l’honorable « pinson de venir devant le Bocage, » — nous nous servions fréquemment de cette expression, « venir devant le Bocage » comme d’une tournure parlementaire convenable ; — devant le Bocage, proposer la santé d’une dame sur le compte de laquelle il ne savait rien du tout. Là-dessus, M. Drummle se leva et demanda ce que je voulais dire par ces paroles. Ce à quoi je répondis, sans plus d’explications, que sans doute il savait où l’on me trouvait.

Si après cela il était possible, dans un pays chrétien,