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Miss Havisham, sa tête dans sa main, faisait entendre des gémissements étouffés et se balançait sur sa chaise, mais ne faisait pas de réponse.

« Ou, dit Estelle, ce qui eût été plus naturel, si vous lui eussiez appris, dès que vous avez vu poindre son intelligence, avec votre extrême énergie et votre puissance, qu’il existait quelque chose comme la lumière, mais que cette chose devait être son ennemie, sa destructrice, et qu’elle devait toujours se détourner d’elle, car puisqu’elle vous avait flétrie elle ne manquerait pas de la flétrir aussi… si vous eussiez fait cela, et qu’après, dans un but quelconque, vous eussiez voulu l’exposer naturellement à la lumière et qu’elle n’eût pu la supporter, vous eussiez été désappointée et mécontente ?… »

Miss Havisham écoutait ou semblait écouter, car je ne pouvais voir son visage ; mais elle ne fit pas encore de réponse.

« Ainsi, dit Estelle, il faut me prendre telle qu’on m’a faite… Les qualités ne sont pas les miennes et les défauts ne sont pas davantage les miens, mais les deux réunis font un ensemble qui est moi. »

Miss Havisham gisait sur le plancher, je sais à peine comment, au milieu des débris fanés de ses habits de fiancée qui le jonchaient. Je profitai de ce moment — j’en avais cherché un dès le début — pour quitter l’appartement, après avoir recommandé par un geste à Estelle de prendre soin de miss Havisham. Quand je sortis, Estelle était encore debout devant la grande cheminée, exactement comme elle était restée pendant toute cette scène.

Les cheveux de miss Havisham étaient épars sur le plancher, parmi les restes de ses vêtements de mariée. C’était un spectacle navrant à contempler.