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— Qui m’a appris à être fière ? répondit Estelle, qui me vantait quand j’apprenais ma leçon ?…

— Si dure !… si dure !… gémit miss Havisham avec le même mouvement.

— Qui m’a appris à être dure ? repartit Estelle ; qui me comblait d’éloges quand j’apprenais ma leçon ?…

— Mais être fière et dure envers moi !… cria miss Havisham en étendant ses bras, Estelle !… Estelle !… Estelle !… être fière et dure envers moi !… »

Estelle la considéra pendant un moment avec une sorte d’étonnement calme, mais sans être autrement troublée. Quand ce moment fut passé, elle reporta ses yeux sur le feu.

« Je ne puis comprendre, dit-elle en levant les yeux après un silence, pourquoi vous êtes si peu raisonnable quand je viens vous voir après une aussi longue séparation. Je n’ai jamais oublié vos malheurs et leurs causes ; je ne vous ai jamais été infidèle, ni à vos enseignements non plus ; je n’ai jamais montré de faiblesse dont je puisse me repentir.

— Serait-ce donc de la faiblesse que de me rendre mon amour ? s’écria miss Havisham ; mais oui… oui… elle l’appellerait ainsi !

— Je commence à comprendre, dit Estelle comme en se parlant à elle-même, après une seconde minute d’étonnement calme, et à deviner presque comment cela s’est fait : si vous eussiez élevé votre fille adoptive, dans la sombre retraite de cet appartement, sans jamais lui laisser voir qu’il existait quelque chose comme la lumière du soleil, à laquelle elle n’avait jamais vu une seule fois votre visage ; si vous eussiez fait cela et qu’ensuite, dans un but quelconque, vous eussiez voulu lui faire comprendre la lumière et tout ce qui s’y rattache, vous eussiez été désappointée et mécontente… »