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lettre à Joe. Je pense que cela devait être une année au moins après notre expédition dans les marais, car c’était en hiver et il gelait très-fort. J’avais devant moi, par terre, un alphabet auquel je me reportais à tout moment ; je réussis donc, après une ou deux heures de travail, à tracer cette épître :

« Mont chaiR JO j’ai ce Pair queux tU es bien PortaNt, j’aI ce Pair Osi qUe je seré bien TO capabe dE Td JO, Alor NouseronT Contan et croy moa ToN amI PiP. »

Je dois dire qu’il n’était pas indispensable que je communiquasse avec Joe par lettres, d’autant plus qu’il était assis à côté de moi, et que nous étions seuls ; mais je lui remis de ma propre main cette missive, écrite sur l’ardoise avec le crayon, et il la reçut comme un miracle d’érudition.

« Ah ! mon petit Pip ! s’écria Joe en ouvrant ses grands yeux bleus ; je dis, mon petit Pip, que tu es un fier savant, toi !

— Je voudrais bien être savant », lui répondis-je.

Et en jetant un coup d’œil sur l’ardoise, il me sembla que l’écriture suivait une légère inclination de bas en haut.

« Ah ! ah ! voilà un J, dit Joe, et un O, ma parole d’honneur ! Oui, un J et un O, mon petit Pip, ça fait Joe. »

Jamais je n’avais entendu Joe lire à haute voix aussi longtemps, et j’avais remarqué à l’église, le dernier Dimanche, alors que je tenais notre livre de prières à l’envers, qu’il le trouvait tout aussi bien à sa convenance que si je l’eusse tenu dans le bon sens. Voulant donc saisir la présente occasion de m’assurer si, en