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j’avais dormi, et sans doute aussi à cause des lumières et du bruit que faisaient tous ces personnages qui parlaient tous en même temps. En revenant à moi, grâce à un grand coup de poing qui me fut administré par ma sœur entre les deux épaules, et grâce aussi à l’exclamation stimulante : « Allons donc !… A-t-on jamais vu un pareil gamin ! » j’entendis Joe leur raconter les aveux du forçat, et tous les invités s’évertuer à chercher par quel moyen il avait pu pénétrer jusqu’au garde-manger. M. Pumblechook découvrit, après une mystérieux examen des lieux, qu’il avait dû gagner d’abord le toit de la forge, puis le toit de la maison, et que de là il s’était laissé glisser, à l’aide d’une corde, par la cheminée de la cuisine ; et comme M. Pumblechook était un homme influent et positif, et qu’il conduisait lui-même sa voiture, au vu et au su de tout le monde, on admit que les choses avaient dû se passer ainsi qu’il le disait. M. Wopsle eut beau crier : « Mais non ! Mais non ! » avec la faible voix d’un homme fatigué, comme il n’apportait aucune théorie à l’appui de sa négation et qu’il n’avait pas d’habit sur le dos, on n’y fit aucune attention, sans compter qu’il se dégageait une vapeur épaisse du fond de son pantalon, qu’il tenait tourné vers le feu de la cuisine pour en faire évaporer l’humidité. On comprendra que tout cela n’était pas fait pour inspirer une grande confiance.

C’est tout ce que j’entendis ce soir là, jusqu’au moment où ma sœur m’empoigna comme un coupable, en me reprochant d’avoir dormi sous les yeux de toute la société, et me mena coucher en me tirant par la main avec une violence telle, qu’en marchant je faisais autant de bruit que si j’eusse traîné cinquante paires de bottes sur les escaliers. Mon es-