Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.

obstacles, sans savoir où nous allions. À mesure que nous approchions, le bruit devenait de plus en plus distinct, et il nous semblait produit par plusieurs voix : quelquefois il s’arrêtait tout à coup ; alors les soldats aussi s’arrêtaient ; puis, quand il reprenait, les soldats continuaient leur course avec une nouvelle ardeur et nous les suivions. Bientôt, nous avions couru avec une telle rapidité, que nous entendîmes une voix crier :

« Assassin ! »

Et une autre voix :

« Forçats !… fuyards !… gardes !… soldats !… par ici !… Voici les forçats évadés !… »

Puis toutes les voix se mêlèrent comme dans une lutte, et les soldats se mirent à courir comme des cerfs. Joe fit comme eux. Le sergent courait en tête. Le bruit cessa tout à coup. Deux de ses hommes suivaient de près le sergent, leurs fusils armés et prêts à tirer.

« Voilà nos deux hommes ! s’écria le sergent luttant déjà au fond d’un fossé. Rendez-vous, sauvages que vous êtes, rendez-vous tous les deux ! »

L’eau éclaboussait… la boue volait… on jurait… on se donnait des coups effroyables… Quand d’autres hommes arrivèrent dans le fossé au secours du sergent, ils s’emparèrent de mes deux forçats l’un après l’autre, et les traînèrent sur la route ; tous deux blasphémant, se débattant et saignant. Je les reconnus du premier coup d’œil.

« Vous savez, dit mon forçat, en essuyant sa figure couverte de sang avec sa manche en loques, que c’est moi qui l’ai arrêté, et que c’est moi qui vous l’ai livré ; vous savez cela.

— Cela n’a pas grande importance ici, dit le sergent, et cela vous fera peu de bien, mon bonhomme, car vous êtes dans la même situation. Vite, des menottes !