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« Voudriez-vous me dire quelle heure il est ? dit le sergent à M. Pumblechook, comme à un homme dont la position, par rapport à la société, égalait la sienne.

— Deux heures viennent de sonner, répondit celui-ci.

— Allons, il n’y a pas encore grand mal, fit le sergent après réflexion ; quand même je serais forcé de rester ici deux heures, ça ne fera rien. Combien croyez-vous qu’il y ait d’ici aux marais… un quart d’heure de marche peut-être ?…

— Un quart d’heure, justement, répondit Mrs Joe.

— Très-bien ! nous serons sur eux à la brune, tels sont mes ordres ; cela sera fait : c’est on ne peut mieux.

— Des forçats, sergent ? demanda M. Wopsle, en manière d’entamer la conversation.

— Oui, répondit le sergent, deux forçats ; nous savons bien qu’ils sont dans les marais, et qu’ils n’essayeront pas d’en sortir avant la nuit. Est-il ici quelqu’un qui ait vu semblable gibier ? »

Tout le monde, moi excepté, répondit : « Non », avec confiance. Personne ne pensa à moi.

« Bien, dit le sergent. Nous les cernerons et nous les prendrons plus tôt qu’ils ne le pensent. Allons, forgeron, le Roi est prêt, l’êtes-vous ? »

Joe avait ôté son habit, son gilet, sa cravate, et était passé dans la forge, où il avait revêtu son tablier de cuir. Un des soldats alluma le feu, un autre se mit au soufflet, et la forge ne tarda pas à ronfler. Alors Joe commença à battre sur l’enclume, et nous le regardions faire.

Non-seulement l’intérêt de cette éminente poursuite absorbait l’attention générale, mais il excitait la générosité de ma sœur. Elle alla tirer au tonneau un pot de bière pour les soldats, et invita le sergent à prendre