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s’était remarié secrètement… avec sa cuisinière, je pense.

— Je croyais qu’il était fier ? dis-je.

— Mon bon Haendel, certes, oui, il l’était. Il épousa sa seconde femme secrètement, parce qu’il était fier, et peu de temps après elle mourut. Quand elle fut morte, il avoua à sa fille, à ce que je crois, ce qu’il avait fait ; alors le fils devint membre de la famille et demeura dans la maison que vous avez vue. En grandissant, ce fils devint turbulent, extravagant, désobéissant ; en un mot, un mauvais garnement. Enfin, son père le déshérita ; mais il se radoucit à son lit de mort, et le laissa dans une bonne position, moins bonne cependant que celle de miss Havisham… Prenez un verre de vin, et excusez-moi de vous dire que la société n’exige pas que nous vidions si stoïquement et si consciencieusement notre verre, et que nous tournions son fond sens dessus dessous, en appuyant ses bords sur notre nez. »

Dans l’extrême attention que j’apportais à son récit, je m’étais laissé aller à commettre cette inconvenance. Je le remerciai en m’excusant :

« Pas du tout », me dit-il.

Et il continua.

« Miss Havisham était donc une héritière, et, comme vous pouvez le supposer, elle était fort recherchée comme un bon parti. Son frère consanguin avait de nouveau une fortune suffisante ; mais ses dettes d’un côté, de nouvelles folies de l’autre, l’eurent bientôt dissipée une seconde fois. Il y avait une plus grande différence de manière d’être, entre lui et elle, qu’il n’y en avait entre lui et son père, et on suppose qu’il nourrissait contre elle une haine mortelle, parce qu’elle avait cherché à augmenter la colère du père.