Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Et s’il te plaît, qu’est-ce que les pontons ? repris-je.

— Voyez-vous, s’écria ma sœur en dirigeant sur moi son aiguille et en secouant la tête de mon côté, répondez-lui une fois, et il vous fera de suite une douzaine de questions. Les pontons sont des vaisseaux qui servent de prison, et qu’on trouve en traversant tout droit les marais.

— Je me demande qui on peut mettre dans ces prisons, et pourquoi on y met quelqu’un ? » dis-je d’une manière générale et avec un désespoir calme.

C’en était trop pour Mrs Joe, qui se leva immédiatement.

« Je vais te le dire, méchant vaurien, fit-elle. Je ne t’ai pas élevé pour que tu fasses mourir personne à petit feu ; je serais à blâmer et non à louer si je l’avais fait. On met sur les pontons ceux qui ont tué, volé, fait des faux et toutes sortes de mauvaises actions, et ces gens-là ont tous commencé comme toi par faire des questions. Maintenant, va te coucher, et dépêchons ! »

On ne me donnait jamais de chandelle pour m’aller coucher, et en gagnant cette fois ma chambre dans l’obscurité, ma tête tintait, car Mrs Joe avait tambouriné avec son dé sur mon crâne, en disant ces derniers mots et je sentais avec épouvante que les pontons étaient faits pour moi ; j’étais sur le chemin, c’était évident ! J’avais commencé à faire des questions, et j’étais sur le point de voler Mrs Joe.

Depuis cette époque, bien reculée maintenant, j’ai souvent pensé combien peu de gens savent à quel point on peut compter sur la discrétion des enfants frappés de terreur. Cependant, rien n’est plus déraisonnable que la terreur. J’éprouvais une terreur mortelle en pensant au jeune homme qui en voulait absolument à mon