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— Pourquoi se vengerait-elle sur tout le sexe masculin ? comment cela ?…

— Comment, monsieur Pip, dit-il, ne le savez-vous pas ?

— Non, dis-je.

— Mon Dieu ! mais c’est toute une histoire, nous la garderons pour le dîner. Et maintenant, permettez-moi de vous faire une question. Comment étiez-vous venu là le jour que vous savez ? »

Je le lui dis, et il m’écouta avec attention jusqu’à ce que j’eusse fini ; puis il se mit à rire de nouveau, et il me demanda si j’en avais souffert dans la suite. Je ne lui fis pas la même question, car ma conviction sur ce point était parfaitement établie.

« M. Jaggers est votre tuteur, à ce que je vois, continua-t-il.

— Oui.

— Vous savez qu’il est l’homme d’affaires et l’avoué de miss Havisham, et qu’il a sa confiance quand nul autre ne l’a ? »

Ceci m’amenait, je le sentais, sur un terrain dangereux. Je répondis, avec une contrainte que je n’essayai pas de déguiser, que j’avais vu M. Jaggers chez miss Havisham le jour même de notre combat ; mais que c’était la seule fois, et que je croyais qu’il n’avait, lui, aucun souvenir de m’avoir jamais vu.

« Il a eu l’obligeance de proposer mon père pour être votre précepteur, et il est venu le voir à ce sujet. Sans doute il avait connu mon père par ses rapports avec miss Havisham. Mon père est le cousin de miss Havisham, non pas que cela implique des relations très-suivies entre eux, car il n’est qu’un bien mauvais courtisan, et il ne cherche pas à se faire bien voir d’elle. »