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j’avais reçu les instructions nécessaires pour vous faire un cadeau comme compensation ?

— Comme compensation de quoi ? demanda Joe.

— De la perte de ses services. »

Joe appuya sa main sur mon épaule, aussi délicatement qu’une femme. J’ai souvent pensé depuis qu’il ressemblait, avec son mélange de force et de douceur, à un marteau à vapeur, qui peut aussi bien broyer un homme que frapper légèrement une coquille d’œuf.

« C’est avec une joie que rien ne peut exprimer, dit-il, et de tout mon cœur, que j’accueille le bonheur de mon petit Pip. Il est libre d’aller aux honneurs et à la fortune, et je le tiens quitte de ses services. Mais ne croyez pas que l’argent puisse compenser pour moi la perte de l’enfant que j’ai vu grandir dans la forge, et qui a toujours été mon meilleur ami !… »

Ô ! bon et cher Joe, que j’étais si près de quitter avec tant d’indifférence, je te vois encore passer ton robuste bras de forgeron sur tes yeux ! Je vois encore ta large poitrine se gonfler, et j’entends ta voix expirer dans des sanglots étouffés ! Ô ! cher, bon, fidèle et tendre Joe ! Je sens le tremblement affectueux de ta grosse main sur mon bras aussi solennellement aujourd’hui que si c’était le frôlement de l’aile d’un ange.

Mais, à ce moment, j’encourageais Joe. J’étais ébloui par ma fortune à venir, et il me semblait impossible de revenir sur mes pas par les sentiers que nous avions parcourus ensemble. Je suppliai Joe de se consoler, puisque, comme il le disait, nous avions toujours été les meilleurs amis du monde, et, comme je le disais, moi, que nous le serions toujours. Joe s’essuya les yeux avec celle de ses mains qui restait libre, et il n’ajouta pas un seul mot.

M. Jaggers avait vu et entendu tout cela, comme un