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agréable état d’esprit, nous rendîmes un verdict de meurtre avec préméditation.

Alors, et seulement alors, je m’aperçus de la présence d’un individu étranger au pays qui était assis sur le banc en face de moi, et qui regardait de mon côté. Un certain air de mépris régnait sur son visage, et il mordait le bout de son énorme index, tout en examinant les figures des spectateurs qui entouraient M. Wopsle.

« Eh bien ! dit-il à ce dernier, dès que celui-ci eut terminé sa lecture, vous avez arrangé tout cela à votre satisfaction, je n’en doute pas ? »

Chacun leva les yeux et tressaillit, comme si c’eût été l’assassin. Il nous regarda d’un air froid et tout à fait sarcastique.

« Coupable, c’est évident, fit-il. Allons, voyons, dites !

— Monsieur, répondit M. Wopsle, sans avoir l’air de vous connaître, je n’hésite pas à vous répondre : coupable, en effet ! »

Là-dessus, nous reprîmes tous assez de courage pour faire entendre un léger murmure d’approbation.

« Je le savais, dit l’étranger, je savais ce que vous pensiez et ce que vous disiez ; mais je vais vous faire une question. Savez-vous, ou ne savez-vous pas que la loi anglaise suppose tout homme innocent, jusqu’à ce qu’on ait prouvé… prouvé… et encore prouvé qu’il est coupable.

— Monsieur, commença M. Wopsle, en ma qualité d’Anglais, je…

— Allons ! dit l’étranger à M. Wopsle, en mordant son index, n’éludez pas la question. Ou vous le savez, ou vous ne le savez pas. Lequel des deux ? »

Il tenait sa tête en avant, son corps en arrière,