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« Comment peux-tu faire, Biddy, dis-je, pour apprendre tout ce que j’apprends ? »

Je commençais à tirer quelque vanité de mes connaissances, car pour les acquérir, je dépensais mes guinées d’anniversaire et tout mon argent de poche, bien que je comprenne aujourd’hui qu’à ce prix là le peu que je savais me revenait extrêmement cher.

« Je pourrais te faire la même question, dit Biddy ; comment fais-tu ?

— Le soir, quand je quitte la forge, chacun peut me voir me mettre à l’ouvrage, moi ; mais toi, Biddy, on ne t’y voit jamais.

— Je suppose que j’attrape la science comme un rhume, » dit tranquillement Biddy.

Et elle reprit son ouvrage.

Poursuivant mon idée, renversé dans mon fauteuil en bois, je regardais Biddy coudre, avec sa tête penchée de côté. Je commençais à voir en elle une fille vraiment extraordinaire, car je me souvins qu’elle était très-savante en tout ce qui concernait notre état, qu’elle connaissait les noms de nos outils et les termes de notre ouvrage. En un mot, Biddy savait théoriquement tout ce que je savais, et elle aurait fait un forgeron tout aussi accompli que moi, si ce n’est davantage.

« Biddy, dis-je, tu es une de ces personnes qui savent tirer parti de toutes les occasions ; tu n’en avais jamais eu avant de venir ici, vois maintenant ce que tu as appris. »

Biddy leva les yeux sur moi, puis se remit à coudre.

« C’est moi qui ai été ton premier maître, n’est-ce pas, Pip ? dit-elle.

— Biddy ! m’écriai-je frappé d’étonnement. Comment, tu pleures ?…