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nage ? Ou quelque joli article de fantaisie, tel qu’une fourchette à rôties pour faire griller ses muffins, ou bien un gril, si elle veut manger un hareng saur ou quelque autre chose de semblable.

— Mais Joe, je ne parle pas du tout de présent, interrompis-je.

— Eh bien ! continua Joe, en tenant bon comme si j’eusse insisté, à ta place, mon petit Pip, je ne ferais rien de tout cela, non en vérité, rien de tout cela ! Car, qu’est-ce qu’elle ferait d’une chaîne de porte, quand elle en a une qui ne lui sert pas ? Et les pitons sont sujets à s’abîmer… Quant à la fourchette à rôties, elle se fait en laiton et ne nous ferait aucun honneur, et l’ouvrier le plus ordinaire se fait un gril, car un gril n’est qu’un gril, dit Joe en appuyant sur ces mots, comme s’il eût voulu m’arracher une illusion invétérée. Tu auras beau faire, mais un gril ne sera jamais qu’un gril, je te le répète, et tu ne pourras rien y changer.

— Mon cher Joe, dis-je en l’attrapant par son habit dans un mouvement de désespoir ; je t’en prie, ne continue pas sur ce ton : je n’ai jamais pensé à faire à miss Havisham le moindre cadeau.

— Non, mon petit Pip, fit Joe, de l’air d’un homme qui a enfin réussi à en persuader un autre. Tout ce que je puis te dire, c’est que tu as raison, mon petit Pip.

— Oui, Joe ; mais ce que j’ai à te dire, moi, c’est que nous n’avons pas trop d’ouvrage en ce moment, et que, si tu pouvais me donner une demi-journée de congé, demain, j’irais jusqu’à la ville pour faire une visite à miss Est… Havisham.

— Quel nom as-tu dit là ? dit gravement Joe ; Esthavisham, mon petit Pip, ce n’est pas ainsi qu’elle s’appelle, à moins qu’elle ne se soit fait rebaptiser.