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Dès que nous fûmes en plein air, Joe s’appuya contre un mur et me dit :

« C’est étonnant ! »

Et il resta longtemps sans parler, puis il répéta à plusieurs reprises :

« Étonnant !… très-étonnant !… »

Je commençais à croire qu’il avait perdu la raison. À la fin, il allongea sa phrase et dit :

« Je t’assure, mon petit Pip, que c’est on ne peut plus étonnant ! »

J’ai des raisons de penser que l’intelligence de Joe s’était éclairée par ce qu’il avait vu, et que, pendant notre trajet jusqu’à la maison de Pumblechook, il avait ruminé et adopté un projet subtil et profond. Mes raisons s’appuient sur ce qui se passa dans le salon de Pumblechook, où nous trouvâmes ma sœur en grande conversation avec le grainetier détesté.

« Eh bien ! s’écria ma sœur ; que vous est-il arrivé ? Je m’étonne vraiment que vous daigniez revenir dans une aussi pauvre société que la nôtre. Oui, je m’en étonne vraiment !

— Miss Havisham, dit Joe en me regardant, comme s’il cherchait à faire un effort de mémoire, nous a bien recommandé de présenter ses… Était-ce ses compliments ou ses respects, mon petit Pip ?

— Ses compliments, dis-je.

— C’est ce que je croyais, répondit Joe : ses compliments à Mrs Gargery.

— Grand bien me fasse ! observa ma sœur, quoique cependant elle fût visiblement satisfaite.

— Elle voudrait, continua Joe en me regardant de nouveau, et en faisant un effort de mémoire, que l’état de sa santé lui eût… permis… n’est-ce pas, mon petit Pip ?

— D’avoir le plaisir… ajoutai-je.