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de mes actes de violence, mes terreurs ne connurent plus de bornes. Les envoyés de la justice venus de Londres tout exprès ne seraient-ils pas en embuscade derrière la porte ? Miss Havisham ne voudrait-elle pas elle-même tirer vengeance d’un crime commis dans sa maison, et n’allait-elle pas se lever sur moi, armée d’un pistolet et m’étendre mort à ses pieds ? N’aurait-on pas soudoyé une bande de mercenaires pour tomber sur moi dans la brasserie et me frapper jusqu’à la mort ? J’avais, je dois le dire, une assez haute opinion du jeune homme pâle pour le croire étranger à toutes ces machinations ; elles se présentaient à mon esprit, ourdies par ses parents, indignés de l’état de son visage et excités par leur grand amour pour ses traits de famille.

Quoi qu’il en soit, je devais aller chez miss Havisham, et j’y allai. Chose étrange ! rien de notre lutte n’avait transpiré, on n’y fit pas la moindre allusion, et je n’aperçus pas le plus petit homme, jeune ou pâle ! Je retrouvai la même porte ouverte, j’explorai le même jardin, je regardai par la même fenêtre, mais mon regard se trouva arrêté par des volets fermés intérieurement. Tout était calme et inanimé. Ce fut seulement dans le coin où avait eu lieu le combat que je pus découvrir quelques preuves de l’existence du jeune homme ; il y avait là des traces de sang figé, et je les couvris de terre pour les dérober aux yeux des hommes.

Sur le vaste palier qui séparait la chambre de miss Havisham de l’autre chambre où était dressée la longue table, je vis une chaise de jardin, une de ces chaises légères montées sur des roues et qu’on pousse par derrière. On l’avait apportée là depuis ma dernière visite, et dès ce moment je fus chargé de pousser régulièrement miss Havisham, dans cette chaise, autour de