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Comme nous avancions dans le passage obscur, Estelle s’arrêta tout à coup en me regardant en face, elle me dit d’un ton railleur en mettant son visage tout près du mien :

« Eh bien ?

— Eh bien, mademoiselle ? » fis-je en me reculant.

Elle me regardait et moi je la regardais aussi, bien entendu.

« Suis-je jolie ?

— Oui, je vous trouve très-jolie.

— Suis-je fière ?

— Pas autant que la dernière fois, dis-je.

— Pas autant ?

— Non. »

Elle s’animait en me faisant cette dernière question, et elle me frappa au visage de toutes ses forces.

« Maintenant, dit-elle, vilain petit monstre, que penses-tu de moi ?

— Je ne vous le dirai pas.

— Parce que tu vas le dire là-haut… Est-ce cela ?

— Non ! répondis-je, ce n’est pas cela.

— Pourquoi ne pleures-tu plus, petit misérable ?

— Parce que je ne pleurerai plus jamais pour vous, » dis-je.

Ce qui était la déclaration la plus fausse qui ait jamais été faite, car je pleurais intérieurement, et Dieu sait la peine qu’elle me fit plus tard.

Nous continuâmes notre chemin, et, en montant, nous rencontrâmes un monsieur qui descendait à tâtons.

« Qui est-là ? demanda le monsieur, en s’arrêtant et en me regardant.

— Un enfant, » dit Estelle.

C’était un gros homme, au teint excessivement brun, avec une très-grosse tête et avec de très-grosses mains. Il me prit le menton et me souleva la tête pour