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suppose que si vous peignez le portrait de la dame de vos pensées…

— Je ne suis pas peintre, interrompit vivement le jeune homme.

— C’est un malheur pour vous, mais il ne peut vous être imputé à crime. Enfin, si vous saviez peindre vous essaieriez le portrait de la dame de vos pensées, et je suppose qu’alors vous feriez d’elle, en dépit même de la réalité, une Junon, une Minerve, une Diane, et une Vénus tout à la fois, n’est-ce pas ?

— Je ne saurais le dire, je n’ai pas de dame de mes pensées.

— Quant à moi, dit Edwin, emporté par un accès de vanité fanfaronne, si je m’essayais à peindre le portrait de Mlle Landless… sérieusement, croyez-moi très-sérieusement vous verriez ce que je saurais faire !

— Il faudrait d’abord obtenir de ma sœur qu’elle consentît à poser, et comme elle n’y consentira pas, je crois bien ne jamais avoir le plaisir de voir ce que vous saurez faire… C’est un malheur auquel il faudra que je me résigne. »

Jasper quitta la cheminée, remplit un grand verre pour Neville, un autre grand verre pour Edwin, tendit à chacun le sien, puis en remplit un troisième pour lui-même en disant :

« Allons, M. Neville, nous allons boire à mon neveu Ned. Comme il a le pied dans l’étrier, je parle par métaphore, c’est en son honneur que nous devons boire le coup de l’étrier. À vous donc, Ned, mon cher garçon, mon cher ami ! »

Jasper prêcha d’exemple en vidant presque tout son verre d’un trait et Neville l’imita.

Edwin Drood dit :

« Je vous remercie bien tous les deux. »

Et il suivit leur exemple.

« Regardez-le ! s’écria Jasper en étendant la main vers Edwin, avec une tendresse admirative, quoique avec une pointe de raillerie, voyez comme il se complaît dans son indolence, M. Neville ! Le monde est ouvert devant lui, il n’a qu’à choisir son lot ! Une vie active et pleine d’inté-