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« Qu’est-ce que M. Jasper ! »

Rosa détourna la tête.

« C’est l’oncle d’Eddy et mon professeur de musique, dit-elle.

— Vous ne l’aimez pas ?

— Ah ! ciel ! s’écria Rosa en se couvrant le visage avec ses mains.

Elle frissonnait d’horreur et d’effroi.

« Vous savez qu’il vous aime ?

— Oh ! ne dites pas cela… ne le dites pas… ne le dites pas ! s’écria Rosa en se laissant tomber à genoux et en se cramponnant à la robe de sa nouvelle amie. Ne parlez pas ainsi. Il me terrifie. Il hante ma pensée comme un épouvantable fantôme. Je sens que je ne suis jamais en sûreté contre lui. Il me semble toujours qu’il va passer à travers la muraille quand on prononce son nom. »

Et Rosa regarda avec effroi autour d’elle comme si elle s’attendait à voir Jasper debout dans l’ombre, au fond de la chambre.

« Faites un effort pour m’en apprendre davantage, ma chérie.

— Oui, je parlerai… je parlerai… parce que vous êtes forte ; mais, tenez-moi bien tant que je parlerai et restez tout près de moi quand j’aurai fini.

— Mon enfant ! vous parlez de cet homme comme s’il vous avait effrayée de quelque manière ténébreuse…

— Il ne m’a jamais dit un mot… jamais.

— Que vous a-t-il fait ?

— Il m’a fait son esclave avec son seul regard ; il m’a forcée de le comprendre sans me dire un mot ; il m’a forcée de garder le silence, sans me faire une menace. Quand je joue du piano, ses yeux ne quittent pas mes mains. Quand je chante, ses yeux ne quittent pas mes lèvres. Quand il me reprend et qu’il frappe une note, ou chante, ou joue un passage, il passe lui-même dans les sons, et alors il me dit tout bas que c’est en amant qu’il me poursuit, et il m’ordonne de garder le secret, d’éviter ses yeux ; mais il me force à les voir quand les miens sont fixés sur eux. Même quand un voile passe sur son regard, ce qui arrive quelquefois, et qu’il semble plongé dans une sorte