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sur une estrade, à répéter sans cesse ce que disait M. Honeythunder, ce que disait le trésorier, ce que disait le sous-trésorier, ce que disait le comité, ce que disait le sous-comité, ce que disait le secrétaire et ce que disait le vice-secrétaire.

Ce qui était dit avec cette touchante unanimité se résumait ordinairement en ceci : le corps entier de ceux qui professent la philanthropie voit avec l’indignation du mépris mêlé d’horreur la bassesse de ceux qui n’appartiennent pas à la société ; contre ces derniers les membres se faisaient un devoir d’élever toutes les accusations imaginables, sans se croire obligés le moins du monde à en prouver la vérité.

Le dîner au Coin du chanoine fut un désastre.

Le philanthrope dérangea la symétrie de la table, s’assit de façon à gêner la circulation des serviteurs et à intercepter le passage.

Il réduisit M. Tope, qui assistait la servante, à un état voisin du désespoir, en le forçant à passer les assiettes et les plats par-dessus sa tête.

Personne ne put parler à ses voisins ; le philanthrope s’adressait à tout le monde à la fois, comme si pas un seul des convives n’avait eu d’existence individuelle, et comme si l’assemblée n’avait été qu’un auditoire.

Il imposa au révérend M. Septimus le rôle d’un personnage officiel auquel s’adressaient ses discours, il le traita comme une sorte de patère vivante à laquelle il lui plaisait d’accrocher son chapeau oratoire, et, tombant dans le travers familier aux orateurs de son genre, il se permit d’apostropher le révérend comme un indigne et faible adversaire.

Il lui disait :

« Et maintenant, monsieur, serez-vous assez sot pour me contredire ? etc. »

Et autres aménités de cette sorte, alors que cet innocent ecclésiastique n’avait pas ouvert la bouche et n’avait pas même l’intention de le faire.

Il disait encore :

« Voyez, monsieur, à quelle position vous êtes réduit. Je ne vous laisserai pas échapper. Après avoir épuisé toutes les ressources de la fraude et du mensonge pendant une