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dans ses notes mentales, que de beaux barbares captifs amenés des régions du soleil.

M. Honeythunder marchait au milieu de la chaussée en se faisant faire place par les gens du pays qu’il rencontrait sur son chemin ; il développait, à haute voix, un plan qu’il avait conçu pour débarrasser le Royaume-Uni de tous les gens sans emploi.

Ce plan consistait à les jeter en prison et à les obliger, sous peine de mort, à se faire philanthropes sur l’heure.

Mme Crisparkle eut besoin de toute la philanthropie qu’elle avait elle-même en partage quand elle vit cette immense et bruyante montagne de chair qui venait s’ajouter à sa petite réunion.

Ce gros homme lui fit l’effet d’un énorme ulcère qui se produisait tout à coup sur la face de la société.

La philanthropie de M. Honeythunder avait une telle odeur de poudre à canon, qu’on ne voyait pas bien en quoi elle différait de la misanthropie.

Suivant lui, il fallait abolir les armées ; mais d’abord faire passer tous les officiers supérieurs, qui avaient fait leur devoir de soldat, devant une cour martiale et les faire fusiller.

Il fallait supprimer la guerre ; mais après l’avoir faite une fois à fond à ceux qui résistaient à cette nécessité évidente.

Il fallait faire disparaître la peine capitale, mais auparavant balayer de la face de la terre tous les législateurs, les jurisconsultes, tous les juges, qui soutenaient une opinion contraire.

Il fallait établir la concorde universelle en exterminant tous ceux qui ne voudraient pas la pratiquer.

Il fallait aimer son frère comme soi-même, après l’avoir traité comme si on le haïssait et l’avoir accablé d’injures pour le rendre meilleur.

Avant toutes choses, il ne fallait rien faire de son chef et en son propre et privé nom ; mais se rendre aux offices de l’Asile de la Philanthropie et s’inscrire comme membre profès.

Alors on avait à payer sa souscription, à prendre sa carte de sociétaire, avec le ruban et la médaille, à vivre