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de bambou et de bois de santal qui viennent des Indes. Je mets le doigt sur tout. Il m’a passé dernièrement par les mains des articles du pôle Nord et j’ai dit : Voilà une lance fabriquée par les Esquimaux et qui a été donnée à quelque voyageur pour une demi-pinte de sherry.

— Vraiment !… Oh ! voilà un remarquable moyen d’acquérir la connaissance des hommes et des choses, monsieur Sapsea.

— Je mentionne ceci, monsieur, reprit M. Sapsea avec une indicible complaisance, parce que, suivant moi, il ne suffit pas de se vanter de ce qu’on est, il faut encore montrer comment on est arrivé à cela, et alors on prouve quelque chose.

— Très-intéressant. Mais nous devions parler de la défunte Mme Sapsea. »

M. Sapsea remplit les deux verres et met le flacon en sûreté.

« Avant de vous demander votre opinion comme homme de goût, sur cette petite misère, dit-il en prenant la note manuscrite, car ce n’est qu’une bagatelle, quoiqu’elle ait exigé, monsieur, quelque réflexion et une certaine concentration de la pensée, je devrais peut-être vous décrire le caractère de Mme Sapsea, dont la mort remonte maintenant à neuf mois environ. »

M. Jasper, qui dissimulait un bâillement derrière son verre, le repose sur la table et s’efforce de paraître attentif ; mais il n’y réussit qu’imparfaitement : il se sentait obligé d’étouffer un nouveau bâillement qui amena des larmes dans ses yeux.

« Il y a une douzaine d’années environ, reprend M. Sapsea, quand j’eus élargi mon esprit, je ne dirai pas jusqu’au point où il est arrivé aujourd’hui, car ce serait trop dire, mais jusqu’à ce point enfin où mon esprit éprouvait le besoin d’un autre esprit à absorber en moi, je me mis en tête de chercher une compagne. Je le déclare, il n’est pas bon pour un homme de vivre seul. »

M. Jasper semblait s’occuper à fixer profondément dans sa mémoire cette pensée originale.

« Mlle Brobity dirigeait à cette époque un établissement, je ne dirai pas rival de celui de la Maison des Non-