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La vieille l’observait.

« Vous aviez un compagnon de voyage, mon chéri ?

— Un compagnon de voyage. Ah ! ah ! ah !… Et penser, s’écrie-t-il, qu’il l’a été sans le savoir ! Il a accompli le voyage sans connaître la route ! Ah ! ah ! ah !… »

La vieille s’agenouille sur le plancher, ses bras croisés sur le couvrepied, le menton appuyé sur le lit.

Dans cette attitude accroupie, elle observe toujours le fumeur.

La pipe retombe de la bouche de Jasper, elle la remet entre ses lèvres, pose sa main sur sa poitrine, et la secoue légèrement.

« Je vois, dit-il, les changements de couleur produits par l’automne et les effets brillants de la lumière sur les grands paysages. J’y pensais toujours. Déjà cela ne me sortait plus de l’esprit. Je ne pouvais m’occuper d’autre chose. »

Il retombe de nouveau dans un lourd silence.

De nouveau elle lui remet la main sur la poitrine et le remue légèrement à la façon d’un chat qui stimule une souris à demi morte.

« Quoi ?… Je vous l’ai dit, s’écrie-t-il. Quand le rêve s’est accompli, tout a été si court, que pour la première fois, j’ai cru que ce n’était pas un rêve. Chut !

— Oui, mon chéri, j’écoute.

— Le temps et le lieu sont proches. »

Jasper s’est mis sur ses pieds et continue de parler, mais à voix basse.

« Le temps, le lieu, et le compagnon de voyage, répète la vieille, parlant bas comme lui et le soutenant doucement par le bras.

— Silence ! dit-il. Tout est fini. »

En disant cela, il tressaille de la tête aux pieds.

« Regardez, regardez quelle pauvre, chétive, misérable fin. Car c’est fini !… c’est fini !… »

Il avait accompagné ces paroles incohérentes de gestes farouches et saccadés.

La stupeur était proche ; il retombe comme une souche sur le lit.

La vieille veut toujours poursuivre son enquête, et le