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« C’est ce voyage…, » murmura-t-il.

Un silence s’établit.

Les yeux de Jasper se ferment.

La vieille est assise près de lui, très-attentive à la pipe, qui n’a pas cessé de rester fixée entre les lèvres du fumeur.

Tout à coup, les yeux de Jasper se rouvrent ; ses yeux semblent chercher un point dans l’espace.

« Je garantirais, dit la vieille, que vous avez fait ce voyage d’imagination par un grand nombre de chemins différents ?

— Non, toujours par le même chemin.

— Par le chemin que vous avez suivi quand vous avez accompli le voyage en réalité, mon chéri ?

— Oui. »

Déjà il semblait incapable de répondre autrement que par ce monosyllabe : Oui.

Elle sembla vouloir s’assurer que cet assentiment n’était pas purement automatique et changea la forme de sa question.

« N’en avez-vous jamais été las, mon chéri, et n’avez-vous pas essayé d’évoquer quelque autre rêve ? »

Il fit un effort pour se mettre sur son séant.

« Que voulez-vous dire ? murmura-t-il. Pourquoi suis-je ici ? »

Elle le fait doucement se recoucher sur le dos, et avant de lui rendre la pipe qui a glissé de ses lèvres, elle en ranime le feu qui s’éteint, puis elle lui dit d’un ton caressant :

« C’est sûr… bien sûr !… Oui !… oui !… maintenant je vous comprends… Vous êtes venu pour refaire le voyage… J’aurais dû le deviner, connaissant l’idée qui vous poursuit. »

Il répond d’abord par un éclat de rire qui se change en une sorte de hurlement.

« Oui, je suis venu pour cela. Quand je n’ai pu supporter la vie que je menais, je suis venu pour chercher un soulagement et je l’ai trouvé. Et lui… lui… »

Il répéta ces deux mots avec une véhémence extraordinaire ; c’était bien le hurlement d’un loup.