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Elle se penche sur lui.

« Je suis toute à vous. Vous disiez tout à l’heure : Écoutez. Eh bien ! je vous écoute.

Ah ! dit Jasper, je réfléchissais. Oui… Écoutez… Avez-vous quelque chose dans l’esprit, vous ?… quelque chose que vous méditez d’accomplir ?

— Oui, mon chéri, quelque chose que je médite d’accomplir.

— Mais vous n’êtes pas encore tout à fait décidée à…

— Non, mon chéri… je ne suis pas décidée.

— Faut-il ou ne faut-il pas faire cela ? Vous comprenez.

— Si, je comprends. »

Elle remue, avec la pointe de l’aiguille, le contenu du fourneau de la pipe.

« Il est à espérer que la chose serait agréable à faire, mon chéri.

— Oh ! dit Jasper, délicieuse ! »

Il prononce ce dernier mot d’un air farouche, et comme obéissant à l’action d’un ressort, il se tourne du côté de la vieille femme.

Sans s’émouvoir elle arrange toujours la pipe avec sa petite spatule.

« C’était un voyage, reprend Jasper, un dangereux voyage, que j’avais dans l’esprit. Un hasardeux et périlleux voyage à travers les abîmes, quand le pied glisse, c’est la mort. Regardez en bas, regardez en bas ! Vous voyez ce qu’il y a au fond de l’abîme… »

Il s’était penché en avant, et il montrait le sol, comme s’il le voyait se creuser devant ses yeux.

La vieille examina le visage crispé, placé maintenant tout près du sien.

« Eh bien, je vous l’ai dit, je l’ai fait ici en imagination, ce voyage… Je l’ai fait ainsi des milliers de fois. Lorsque ensuite j’ai accompli réellement ce que j’avais tant médité, cela m’a semblé n’être rien… En un instant tout a été dit.

C’est ce voyage qui vous a tenu éloigné ? » fit observer tranquillement la vieille.

Il la regarda tout en fumant ; puis un brouillard lui passa sur les yeux.